jeudi 2 juin 2016

 jour 24


dimanche 20 mars 2016

  Cela fait une semaine que je n'ai pas vu la côte et aujourd'hui sera le dernier jour complet passé en mer. Demain, je quitterai le navire et refermerai derrière moi une parenthèse d'insouciance, de découvertes et d'un peu d'aventure. Avant l'embarquement à Fos, je craignais que le temps ne me parût bien long et répétitif mais je me suis installé dans le confort de la répétition et trois semaines de mer n'ont pas suffi à me lasser, bien au contraire. Quand la fin de quelque chose laisse un peu de frustration, c'est bien. Celle-ci reste en nous, amorce d'un recommencement futur et les mers sont si vastes...
  Le cap suivi par le Musca a encore changé ; de quoi perdre le nord ! Au début, nous allions vers l'est puis ce fut le nord pour Beyrouth et ensuite le sud pour Suez. Après ce fut de nouveau l'est suivi du nord et maintenant, pour le terme du voyage, c'est l'ouest. L'heure aussi s'est modifiée, par trois fois en trois semaines qu'il faudra rattraper d'un coup à la descente de l'avion sans compter le passage à l'heure d'été une semaine plus tard. Pas étonnant si parfois je ne sais plus trop où j'habite ! Et je ne parle même pas de la température. Il fait 27°C à 8 h malgré les 25 kn de vent devant (ou de face si vous préférez) dû à l'effet de goulet du détroit. Le ciel s'est donc dégagé, seul l'horizon reste brumeux.
  Nous entrons dans la passe du détroit d'Ormuz, le plus surveillé de la planète, qui voit transiter 40% du commerce mondial de brut. En fait, le détroit est large d'environ 50 km et hormis deux gros îlots à bâbord je ne vois pas la terre. Mais il ne faut négliger ni le contexte géo-politique entre les frères ennemis - Iran à droite, États Arabes Unis à gauche - ni le contexte sous-marin entre les deux : du pétrole partout. Résultat, l'Iran a farci ses eaux territoriales de zones d'entraînement de sous-marins et les EAU ont créé chez eux des zones de tir en mer comme si il n'y avait pas de places plus appropriées ailleurs ! Alors, il vaut mieux savoir où on habite  et naviguer en suivant scrupuleusement les itinéraires prévus.
  L'entrée dans le golfe persique ne met pas fin aux querelles, loin de là, car l'Iran revendique des îles et des eaux territoriales comme l'îlot d'Abu Moussa, situé en plein milieu de la sortie du détroit, qu'il a repris aux EAU, doté d'un aérodrome au-dessus et de beaucoup de pétrole en dessous. Pour compléter le tableau, il est mentionné dans le cartouche de la carte marine la possibilité de recevoir un ordre de stopper le navire en pleine mer. En réponse, les mesures à adopter par le capitaine sont : 1-accuser réception, 2-ralentir sans s'arrêter et 3-contacter sans délai l'armateur pour la conduite à adopter. Finalement, c'est bien une zone "à risque".
  A 14 h, l'environnement a changé. Moins de vent, plus de chaleur, des fonds marins variant de 20 à 50 m, des derricks à bâbord, des derricks à tribord, des derricks partout, des tankers pleins à ras-bord quittant le golfe et un navire militaire patrouillant. C'est Tintin au pays de l'or noir.
  A 16 h, je monte sur le toit de la passerelle en compagnie du jeune officier ukrainien pour hisser les couleurs du pays d'accueil comme c'est la coutume à chaque arrivée dans un port. Le bateau est à une vingtaine de kilomètres de Dubaï qui apparait noyé dans une brume de chaleur. Aux jumelles, je parviens à distinguer le célèbre hôtel al-Arab en forme de voile sur le front de mer et la tour Khalifa avec ses 800 m de hauteur. Pour voir les détails, il faudra attendre demain car la place au port est toujours occupée (une constante des villes portuaires avec la brume ?). En conséquence, nous nous dirigeons sur la zone de mouillage et j'obtiens du capitaine l'autorisation rarissime (personne d'autre n'osait me l'accorder) de filmer la manœuvre in-situ, à la pointe avant.
  Je file dans ma cabine, m'équipe en vitesse, dévale sur le pont principal et fonce en courant vers la proue. Que c'est loin !... Heureusement, la manœuvre n'a pas encore débuté et je négocie avec force conviction (si, si) auprès de l'officier en second mes angles de vues. Puis il reçoit un ordre de la passerelle et les marins présents prennent leur poste et mettent leurs équipements de protection : casque, visière intégrale, bouchons d'oreille, gants. Pour ma part, je me positionne par dessus le franc-bord, prêt à filmer la descente de l'ancre.
  Dans un premier temps, l'énorme tambour mû par un moteur hydraulique libère lentement la chaîne dans un grondement sourd et bruyant pour amener les 17 tonnes de l'ancre "à pic", c'est-à-dire à ras de l'eau. Pendant ce temps, le bateau s'est positionné face à la lame (face aux vagues) et a cessé d'avancer ; il est prêt à culer. Et c'est à ce moment précis que l'ordre est donné, l'ordre de mouiller.
  Alors là !!! Il y a comme une explosion derrière moi suivie d'un bruit d'enfer et du tremblement continu de tout l'avant. Un véritable tremblement de fer ! Pendant une fraction de seconde, j'ai cru à un accident mais je ne me suis pas retourné car je voyais en même temps l'ancre s'écrouler dans l'eau, poursuivie par une chaîne folle qui battait dans l'écubier. Une, deux, trois, quatre secondes s'écoulent et le calme revient alors que je retourne mon appareil photo vers le pont. La fureur de la manœuvre a cessé mais un nuage de poussière jaune enrobe encore tout l'avant. Le sol est jonché de particules et d'éclats métalliques atteignant parfois plusieurs centimètres de longueur et deux millimètres d'épaisseur projetés à plusieurs mètres. Je n'en reviens pas et ma mine hilare amuse les marins. Je comprends la réticence de l'officier à ma venue et les protections du personnel affecté aux opérations !
  Pendant que le Musca recule sagement pour étaler les 7x27 m de chaîne mouillée par 20 m de fond, les marins balayent le pont, mettent en sécurité les appareils et moi je regarde, encore tout étourdi par ces impressions formidables. Quel bateau !






















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