dimanche 17 avril 2016

jour 4


lundi 29 février 2016


  Deuxième nuit en mer. Vers le matin,j'ai ressenti le faible roulis du navire. Impression désagréable de se sentir très légèrement bouger dans le lit sans pouvoir agir, comme si une main géante me poussait de droite et de gauche. Au lever, le ciel apparait gris derrière nous alors qu'il est bleu au-dessus. Un bon vent de sud-est a dégagé les nuages et ratisse l'eau en donnant une mer formée et moutonnante de face.
  A  9 h nous passons au large du golfe de Tunis, cap 110°, 15 kn, température de 18°C. Je profite du temps splendide pour m'offrir une sortie sur le pont écourtée car la batterie de mon appareil photo tombe à plat. Ça m'apprendra à vérifier la charge avant de sortir ! L'après-midi, le ciel est totalement bleu. A la passerelle, l'officier philippin me parle de lui et de sa famille. Il avait entrepris des études d'ingénieur en électricité lorsqu'un typhon avait ravagé la maison familiale mettant fin à ses projets. Il avait dû chercher un travail rémunérateur. La marine marchande le satisfaisait par le salaire et l'intérêt bien qu'il regrettât de ne pas voir assez souvent ses trois filles et de ne pas suivre leur scolarité. Il m'enjoint à visiter son pays, surtout le sud, de préférence durant le premier semestre qui est moins humide. Il me dit combien les philippins sont souriants et accueillants, ce que j'ai déjà pu constater à bord.
  A 18 h 30, après dîner, je retourne 1 h sur la passerelle. Le soleil est couché et la voûte céleste présente un dégradé de clarté allant du clair au moyen. Au-dessous, la mer est sombre. Puis les étoiles apparaissent. D'abord une, puis dix, puis cent et enfin la voix lactée, se détachant nettement dans le ciel obscur sous la forme d'une large traînée verticale émergeant de l'eau pour aller se perdre dans l'infini. Je suis projeté un an en arrière dans le désert tunisien où l'absence de pollution lumineuse m'avait permis de voir la même chose fabuleuse pour la première fois. Ici, le bateau avance à 15 kn mais l'absence de mouvement ressenti, de vibration et de repères extérieurs dans cette nuit noire, sans lune, donne une curieuse et envoûtante impression d'immobilité au sein non du monde mais de l'univers. Au loin sur l'horizon, des étoiles clignotent, dérisoires lumignons d'avions aux destinations gardées secrètes.
  Rassasié d'images contemplatives, je retourne dans ma fastueuse cabine pour reprendre l'écriture de mon roman et la journée s'achèvera par la lecture d'un chapitre du livre de J-L Etienne, "la Transantartica", une véritable aventure, ça ! 










 




 


jeudi 14 avril 2016

jour 3

 

dimanche 28 février 2016

  La nuit a été parfaite grâce aux boules Quiès. A 6 h 30, la mer est calme et le ciel est couvert. Il se dégage et devient bleu, lumineux. Devant moi l'horizon est... comment dire... horizontal ! De plus, il est parfaitement rectiligne et situé loin, loin tout là-bas. Ça n'arrive jamais dans mon paysage montagnard. Il coupe le monde en deux : clair au-dessus et sombre au-dessous ou inversement selon l'absence ou la présence des nuages.
  A 9 h, après m'être équipé convenablement (combinaison bleue, chaussures de sécurité, gilet réfléchissant et casque), j'effectue ma première sortie sur le pont principal avec le jeune officier ukrainien qui est à bord depuis trois mois. Il faut ensuite 5 mn de marche dans un passage étroit tout le long du bastingage pour rejoindre l'avant et les treuils d'amarrage et de mouillage. Leur taille est énorme avec des maillons de chaîne réalisés dans du fer de 15 cm de diamètre ! Les chaumards guidant les cordages sont munis de trois rouleaux portant les inscriptions 80 ou 100 tonnes. Ça donne une idée des efforts subis sur un bateau pouvant peser près de 130 000 T soit trois fois le porte-avions Charles de Gaulle en charge. Puis retour à l'arrière où la zone des treuils est totalement recouverte de conteneurs. On a l'impression d'être dans un très grand atelier. Ce parcours extérieur est le seul que je pourrai suivre en demandant préalablement l'autorisation à la passerelle et en avertissant de mon retour. Pas question de laisser le "touriste" divaguer sur le pont où entre les conteneurs pour faire ses photos. Derrière le navire, le sillage me parait court, inférieur à celui des ferrys que j'ai déjà pris, sans doute en raison d'une vitesse plutôt faible d'environ 12/14 kn. 
   De retour dans le château, je monte à la passerelle. Sur les écrans qui combinent cartographie, image radar et données diverses, je vois le tanker aperçut aux jumelles (il y en a 6 paires que je peux utiliser). Grâce au système d'identification AIS, je connais son cap, sa longueur et sa vitesse. Bien sûr, le système de navigation trace aussi sur les écrans la route et le cap suivis et la dérive de notre bateau ainsi que les trajectoires des navires rencontrés avec de grandes traces colorées pour les conflits de route potentiels. Le tout est couplé à un double système GPS. La précision est très grande et impressionnante à quai avec tout l'environnement des autres navires parfaitement repérés. Nous marchons à 12 nœuds  au cap 155 qui doit nous conduire entre la Sardaigne et la Tunisie. Très peu de navires croisés ce qui me surprend car je voyais plutôt ça comme une autoroute, mais la mer est si grande...
  En début d'après-midi, le ciel devenu gris et chargé de cumulus s'assombrit sur tribord où un gros nuage bien sombre se prolonge jusqu'à la mer ; il pleut la-bas. L'eau est devenue grise à son tour et la pluie s'invite vers 15 h. C'est beau. Dehors, il fait 15 °C. Un officier m'annonce qu'on rejoindra Dubaï le 21 mars au lieu du 18 prévu (toujours ce flou). Mon avion décollera dans la nuit du 22 au 23. Je vais devoir le décaler ainsi que mes nuits d'hôtel réservées. Puis on parle de son travail qu'il exerce depuis 7 ans, de ses responsabilités et de sa disponibilité permanente. Son métier est intéressant, il le reconnait, mais il s’exerce loin de chez soi pendant plusieurs mois d'affilée et il est moins bien payé que les dockers des ports européens. Il est un peu amer. 
  Après avoir souper d'une bonne dorade grillée je remonte en passerelle pour une heure, de la nuit tombante à la nuit noire. C'est proprement féérique. La passerelle est séparée en deux dans  son travers par des rideaux permettant d'éclairer en arrière la zone carte et radios et de maintenir dans le noir la partie frontale, à peine éclairée par la luminosité réglable des écrans. Ainsi, les yeux s'habituent à l'obscurité et la veille est plus efficace. A 25 km devant nous, à peine visible aux jumelles mais très bien au radar, un bateau arrive et croisera notre route dans une demie-heure.  Sur la table à carte est étalée une carte recouvrant l'ensemble du parcours représentant environ 4 900 miles.



 

















jour 2


samedi 27 février 2016


  Breakfast à 7 h donc. Oeufs brouillés et bacon. Trop d'huile et de sel à mon goût. Par la suite, j’aurai de plus en plus de mal à l'avaler. Il faut reconnaître que c'est plus nourrissant que les corn-flakes et moins sucré. Dehors, les opérations  de manutention se poursuivent par un temps maussade et frais pour un départ prévu en début d'après-midi. Une rotation s'effectue en deux minutes environ alors, la précision a beau être étonnante, les chocs sont permanents, que ce soit pour accrocher les conteneurs, les glisser dans les guides ou les verrouiller en position. Comme chaque conteneur  pèse 4 tonnes à vide augmentées du poids de la charge marchande, on comprend que le niveau sonore soit très élevé lorsque 4 ou 5 portiques s'affairent simultanément.
 Je suis invité à une visite des lieux mis à ma disposition : gymnase avec appareils de musculation, piscine (vide), sauna, salle de détente-bibliothèque et surtout la passerelle avec la vue extraordinaire depuis ses 60 m au-dessus de la mer (soit plus de 20 étages !). La pluie s'installe vers midi, effaçant l'horizon et les portiques s'arrêtent. Elle cesse assez rapidement et la visibilité revient mais pas les dockers. Encore une grève ? Mais non.... le vent tout simplement, trop fort pour assurer la sécurité et la précision requises lors des déplacements des conteneurs au bout de leurs élingues.
  Le travail reprend vers 13 h et avec lui mes observations depuis la passerelle. Je ne suis pas un contemplatif et pourtant ce ballet rapide et répétitif semble me fasciner. Je ressens vraiment l'impression d'être dans un autre monde ; tout est nouveau pour moi et je n'ai qu'à me laisser vivre. C'est grisant.
  Passage à la salle de détente (salon très confortable avec fauteuils, télévision et lecteur, thé, gâteaux) pour inventorier la bibliothèque. Deux livres en français (les 1001 nuits et l'Odyssée) une cinquantaine d'autres en diverses langues dont le russe et bien sûr l'anglais. Je prends un livre de Somerset Maugham : "of human bondage". Ça me rappellera le collège et mes débuts en anglais. A ce propos je commence à mieux comprendre mes interlocuteurs. Ils sont 28 à bord. Le capitaine, âgé de 41 ans est du Monténégro, il y a 6 croates, 1 ukrainien, des roumains, 1 serbe, des philippins et deux chinois. Je ne peux m'empêcher de penser à leurs pays d'origine dont les habitants ont passé leur temps à se battre bien souvent alors qu'ici règne l'entente et la bonne humeur. Question de dirigeants ?
  20 h ; la pluie a cessé. Partirons-nous ce soir ou cette nuit ? Ce que j'apprendrai par la suite, c'est le flou qui entoure les dates de chargement ou de déchargement ainsi que la durée des opérations. Même les officiers supérieurs "naviguent" dans l'incertitude. Je suis un peu dépité d'autant que j'ai trouvé la porte de la passerelle fermée, alors je contemple du haut de ma cabine les stries lumineuses sur les conteneurs à quai et les flaques de lumière sur l'esplanade vide, loin derrière le bateau.
  Finalement, le bateau quitte le quai à 22 h 20. 



 

 

mercredi 13 avril 2016



 

 jour 1

préambule



  Eh bien ça y est ! Après avoir longtemps eut envie de faire un voyage en cargo, je me suis enfin décidé. Sur des conseils avisés, c'est en porte-conteneurs que le voyage se fera. Il sera long : trois semaines, mais c'est à cette condition que l'on s'approche le plus de la vie en mer ; pas celle de marin car je ne ferai rien et les conditions de confort sont bien différentes de celles des marins à bord. Autre souhait qui a présidé à cet itinéraire : un parcours devant englober un lieu d'exception. Ce sera le cas avec le canal de Suez. Maintenant que le voyage est achevé depuis trois semaines, je vis encore parfois dans cette parenthèse du temps où les infinies variations de l'eau et du ciel viennent meubler les journées passées en mer ou dans les ports. Durant trois semaines, j'aurai fait partie de ces 3 000 passagers qui choisissent chaque année de naviguer sur des cargos, parfois seuls, sur les 30 millions de voyageurs qui préfèrent les bateaux de croisière.
C'est le récit de cette expérience que je relate ici.

  vendredi 26 février 2016



  J'ai passé la journée d'hier dans le train pour rejoindre Fos/mer depuis Chambéry. Il n'y a pas de gare à Fos, un simple arrêt, sans taxi bien sûr. Soirée sans intérêt à l'hôtel et aujourd'hui, j'y traîne jusqu'à midi avant de rejoindre le vieux village pour déjeuner. Minuscule et situé au pied des ruines du château, il n'est pas agréable avec de rares commerces. J'emprunte alors la rue principale jusqu'à la mer et ne trouve tout au long, en dehors des habitations et de quelques bâtiments publics que des restaurations rapides pour ouvriers, bondés et bruyants. Je retourne sur mes pas à la limite du vieux village dans le seul restaurant existant. Autour et sur 200 m de rue se trouvent des agences de toutes les banques classiques ( au moins une dizaine) et rien d'autre. Le reste de la ville est constitué de quartiers d'immeubles bas reliés par des routes en tous sens et il n'y a quasiment aucune plaque de rue. Pour m'orienter - je suis un des rares piétons - j'en suis réduit à tenter de recoller le plan approximatif que j'ai avec la forme des carrefours que je vois. J'imagine qu'ici on ne se déplace qu'en voiture munie d'un GPS si on n'est pas natif du lieu. Pour avoir marché durant des kilomètres, j'aurais aperçu un supermarché, des boulangeries et presque rien d'autre. Vous avez dit Ville et Urbanisme ? Après déjeuner je fais le tour de l'étang de l'Estomac qui borde la ville à l'est. On oublie le bruit des voitures et on chemine en grande partie dans la garrigue qui couvre la colline. C'est agréable malgré le temps frais.
  A 17 h, le taxi me prend et m'emmène au terminal à conteneurs de Port-Saint-Louis.

  Le MUSCA est là ; gigantesque, impressionnant par sa hauteur de coque (à peu près un immeuble de 6 étages) et par sa longueur sans fin masquée par 4 immenses portiques de chargement/déchargement (il y a des ascenseurs pour amener les grutiers à poste à plus de 55 m - environ le 20éme étage). L'armateur est la société française  CMA-CGM mais le navire est immatriculé à Londres donc sous pavillon anglais. Sur le quai, une noria de cavaliers lève-conteneurs alimente les grues. Ça bipe, ça klaxonne, ça cogne, ça se heurte et je ne suis pas vraiment à ma place au milieu de tout ce cirque avec ma valise. Ça donne aussi une impression d'effervescence que je ne retrouverai plus par la suite quand je serai habitué et que je contemplerai cette activité depuis le haut de la passerelle.
  Donc, je prends 2 ou 3 photos puis direction l'échelle de coupée au pied de laquelle un asiatique empoigne ma valise et monte avec moi. La montée est sans fin : 72 marches d'environ 23 cm (c'est haut) très bombées pour s'adapter aux hauteurs variables des quais, en une seule volée, bordée de deux mains-courantes doublées de filet où tout s'accroche.
  Arrivé sur le pont principal, je suis accueilli par un philippin dont je ne comprends pas un mot d'anglais. Il faut préciser que je ne suis pas très doué, cependant les échanges risquent d'être difficiles ! Ce marin est là pour consigner sur un registre toutes les montées et descentes du bateau lors des escales. Puis on m'emmène jusqu'au pont F par des coursives et un ascenseur dignent d'un navire de croisière. On ouvre une porte et on me demande d'entrer dans une grande pièce avec salon d'angle, fauteuils, épaisse moquette bleu nuit, bacs à fleurs, cloison en claustra, parois simili bois clair, etc... Comme je demande où je suis, on me répond qu'il s'agit de ma cabine ; moi qui croyais être dans une sorte de salon pour les officiers ! Elle est splendide, bien au-delà de mon attente : près de 50 m2, meubles en stratifié clair, grand bureau, frigo rempli, double-rideaux, 4 grands hublots rectangulaires et non de petits hublots ronds... bref, j'occupe la cabine dite de l'armateur. Ambiance bateau assurée, très cosy, bien supérieure à mes embarquements passés sur des ferrys et où je sens que j'aurai plaisir à lire, à écrire et à rêver.

  Je suis ensuite présenté à un officier en second qui me parle plus lentement et je comprends (presque) tout. En particulier, pendant les opérations commerciales (chargement/déchargement) je ne pourrai pas sortir. Moi qui voulait filmer ! Puis il
me présente au capitaine dont l'anglais me parait teinté d'accent russe. De fait, il est étranger et il n'y a guère que sur les bateaux battant pavillon français que l'équipage est français. Ici, les officiers semblent venir de l'Europe de l'est et les marins des Philippines. Rien que du classique en somme.

  Mais il est déjà 18 h et le dîner est servi. Le rythme habituel des repas sur un cargo est le suivant : 7 h breakfast, 12 h déjeuner, 18 h dîner. Je mangerai au mess des officiers mais à une table à part et je serai l'unique passager.
  Retour dans ma cabine, installation puis j'ouvre un des deux hublots donnant sur l'arrière pour observer les manutentions. Le portique déplace justement les conteneurs situés devant ma cabine. Dans la nuit noire avec la raffinerie de Fos illuminée en arrière-plan, c'est un spectacle total qui se déroule avec mouvements, bruits et lumières. C'est grisant et féérique et vivre ce moment constitue déjà une récompense. J'ai vu bien sûr ce genre de chose à la télé mais là c'est en vrai ! Autrement dit, il y a le son au vrai niveau, les déplacements dans toute leur ampleur, les odeurs, le relief et je suis au milieu.
  A l'intérieur de la cabine, le bruit est assez élevé, partagé entre les bourdonnements des gros diésels fournissant l'énergie à quai et le souffle fort de la climatisation. Pour dormir, je n'aurai qu'une seule solution, les boules Quiès.