vendredi 3 juin 2016

  info :

 J'ai trois blogs sous cette même forme de carnet de voyage.
  Or, BLOGGER se révèle incapable pour deux d'entre eux d'afficher des liens dans les cases prévues pour. Pire, pour celui-ci, il ne prend même pas en compte l'outil qui me permettrait d'afficher leur existence.
 Donc, si ça vous intéresse, en voici les adresses URL :
-  vezelay-santiago.blogspot.fr  (chemin de Compostelle en deux mois)
-  montourdumont-blanc.blogspot.fr  ( tour à pied par un GR)
Merci de votre visite et bonne lecture.

jour 25


lundi 21 mars 2016

  Je me réveille à 4 h pour constater que nous sommes à quai. Après le petit-déjeuner je monte à la passerelle. Elle est vide et dehors, grues et camions continuent leurs rotations dans ce port de Dubaï, immense plaque tournante des trafics maritimes entre l'Europe et l'Asie. Je m'attarde pour la dernière fois sur ce qui est vraiment un spectacle total et lorsque je regarde plus loin, vers la ville et le désert, je vois une brume jaune se développer rapidement à très faible altitude. Il n'y a pas de vent ; c'est encore de la pollution ce que me confirmera plus tard le chauffeur de taxi qui me conduira à l'hôtel dans son gros 4x4 diésel. L'être humain est ainsi fait qu'il est incapable de renoncer à un plaisir immédiat même sous une menace future qui en découlerait. Survivance d'un archaïsme fondamental plus fort chez presque tous que l'apport de la connaissance.
  Hier soir après dîner, j'ai pris congé de mon steward, personne très attentionnée, et du cuistot qui n'est pas parvenu en trois semaines de tentatives à me faire aimer ses œufs au bacon. La faute sans doute à sa propension à faire baigner tous ses plats dans la friture ou la sauce... Mais j'ai bien mangé quand même.
  Il est presque 9 h 30 et je m'apprête à quitter le Musca, impressionnant navire construit par la Corée en 2009 pour un coût d'environ 120 M€ et pour lequel "faire le plein" signifie engloutir 16 000 000 l de fioul lourd répartis au fond et jusqu'à mi-hauteur des flancs. Au-dessus de ces cuves latérales sont les ballasts, 12 000 m3 d'autres cuves compartimentées et plus ou moins remplies d'eau de mer.C'est la bonne gestion de leur remplissage qui assure le positionnement à plat du bateau, donc sa marche économique quelle que soit la répartition des conteneurs.
  En effet, ceux-ci ne sont pas placés pour former des chargements bien réguliers et bien répartis mais en fonction des opérations futures de déchargement. Il n'est évidemment pas question d'être obligé de décharger un empilement de 15 ou 16 conteneurs pour récupérer celui qui est tout au fond. Sacrée gestion ! Alors, avec un pont hérissé de conteneurs à certains endroits, vidé à d'autres, surchargé à l'avant ou à l'arrière, le porte-conteneurs ne retrouve sa ligne de flottaison qu'en remplissant ou en vidant ses ballasts pour équilibrer le tout.
  Voilà. C'est fini. 4 800 miles soit près de 9 000 km accomplis au rythme lent du bateau et 5 pays abordés. Il est 9 h 30 et je descends la longue échelle de coupée, un petit pincement au cœur, suivi d'un marin philippin qui porte ma valise sur sa tête. Je prends congé en bas, contemple une dernière fois le Musca et je vais attendre le passage de la navette qui me conduira à la sortie du port. Puis ce sera les formalités d'immigration, l'installation à l'hôtel et 36 h passées sous un ciel gris recouvrant Dubaï, ville riche, ville mercantile, ville automobile, ville valant surtout par la beauté indéniable de ses gratte-ciels qu'une armée de travailleurs immigrés et exploités s'échine dans des conditions de sécurité très précaires à construire jour et nuit, quotidiennement.

  Ce fut une très belle expérience.

PS : Des centaines de photos et de plans filmés qu'il va falloir organiser vont prolonger ce voyage et entretenir un souvenir vivace longtemps encore. Premier résultat tangible dans ce récit qui, je l'espère, vous aura fait rêver, ami lecteur.

FIN DU RÉCIT























jeudi 2 juin 2016

 jour 24


dimanche 20 mars 2016

  Cela fait une semaine que je n'ai pas vu la côte et aujourd'hui sera le dernier jour complet passé en mer. Demain, je quitterai le navire et refermerai derrière moi une parenthèse d'insouciance, de découvertes et d'un peu d'aventure. Avant l'embarquement à Fos, je craignais que le temps ne me parût bien long et répétitif mais je me suis installé dans le confort de la répétition et trois semaines de mer n'ont pas suffi à me lasser, bien au contraire. Quand la fin de quelque chose laisse un peu de frustration, c'est bien. Celle-ci reste en nous, amorce d'un recommencement futur et les mers sont si vastes...
  Le cap suivi par le Musca a encore changé ; de quoi perdre le nord ! Au début, nous allions vers l'est puis ce fut le nord pour Beyrouth et ensuite le sud pour Suez. Après ce fut de nouveau l'est suivi du nord et maintenant, pour le terme du voyage, c'est l'ouest. L'heure aussi s'est modifiée, par trois fois en trois semaines qu'il faudra rattraper d'un coup à la descente de l'avion sans compter le passage à l'heure d'été une semaine plus tard. Pas étonnant si parfois je ne sais plus trop où j'habite ! Et je ne parle même pas de la température. Il fait 27°C à 8 h malgré les 25 kn de vent devant (ou de face si vous préférez) dû à l'effet de goulet du détroit. Le ciel s'est donc dégagé, seul l'horizon reste brumeux.
  Nous entrons dans la passe du détroit d'Ormuz, le plus surveillé de la planète, qui voit transiter 40% du commerce mondial de brut. En fait, le détroit est large d'environ 50 km et hormis deux gros îlots à bâbord je ne vois pas la terre. Mais il ne faut négliger ni le contexte géo-politique entre les frères ennemis - Iran à droite, États Arabes Unis à gauche - ni le contexte sous-marin entre les deux : du pétrole partout. Résultat, l'Iran a farci ses eaux territoriales de zones d'entraînement de sous-marins et les EAU ont créé chez eux des zones de tir en mer comme si il n'y avait pas de places plus appropriées ailleurs ! Alors, il vaut mieux savoir où on habite  et naviguer en suivant scrupuleusement les itinéraires prévus.
  L'entrée dans le golfe persique ne met pas fin aux querelles, loin de là, car l'Iran revendique des îles et des eaux territoriales comme l'îlot d'Abu Moussa, situé en plein milieu de la sortie du détroit, qu'il a repris aux EAU, doté d'un aérodrome au-dessus et de beaucoup de pétrole en dessous. Pour compléter le tableau, il est mentionné dans le cartouche de la carte marine la possibilité de recevoir un ordre de stopper le navire en pleine mer. En réponse, les mesures à adopter par le capitaine sont : 1-accuser réception, 2-ralentir sans s'arrêter et 3-contacter sans délai l'armateur pour la conduite à adopter. Finalement, c'est bien une zone "à risque".
  A 14 h, l'environnement a changé. Moins de vent, plus de chaleur, des fonds marins variant de 20 à 50 m, des derricks à bâbord, des derricks à tribord, des derricks partout, des tankers pleins à ras-bord quittant le golfe et un navire militaire patrouillant. C'est Tintin au pays de l'or noir.
  A 16 h, je monte sur le toit de la passerelle en compagnie du jeune officier ukrainien pour hisser les couleurs du pays d'accueil comme c'est la coutume à chaque arrivée dans un port. Le bateau est à une vingtaine de kilomètres de Dubaï qui apparait noyé dans une brume de chaleur. Aux jumelles, je parviens à distinguer le célèbre hôtel al-Arab en forme de voile sur le front de mer et la tour Khalifa avec ses 800 m de hauteur. Pour voir les détails, il faudra attendre demain car la place au port est toujours occupée (une constante des villes portuaires avec la brume ?). En conséquence, nous nous dirigeons sur la zone de mouillage et j'obtiens du capitaine l'autorisation rarissime (personne d'autre n'osait me l'accorder) de filmer la manœuvre in-situ, à la pointe avant.
  Je file dans ma cabine, m'équipe en vitesse, dévale sur le pont principal et fonce en courant vers la proue. Que c'est loin !... Heureusement, la manœuvre n'a pas encore débuté et je négocie avec force conviction (si, si) auprès de l'officier en second mes angles de vues. Puis il reçoit un ordre de la passerelle et les marins présents prennent leur poste et mettent leurs équipements de protection : casque, visière intégrale, bouchons d'oreille, gants. Pour ma part, je me positionne par dessus le franc-bord, prêt à filmer la descente de l'ancre.
  Dans un premier temps, l'énorme tambour mû par un moteur hydraulique libère lentement la chaîne dans un grondement sourd et bruyant pour amener les 17 tonnes de l'ancre "à pic", c'est-à-dire à ras de l'eau. Pendant ce temps, le bateau s'est positionné face à la lame (face aux vagues) et a cessé d'avancer ; il est prêt à culer. Et c'est à ce moment précis que l'ordre est donné, l'ordre de mouiller.
  Alors là !!! Il y a comme une explosion derrière moi suivie d'un bruit d'enfer et du tremblement continu de tout l'avant. Un véritable tremblement de fer ! Pendant une fraction de seconde, j'ai cru à un accident mais je ne me suis pas retourné car je voyais en même temps l'ancre s'écrouler dans l'eau, poursuivie par une chaîne folle qui battait dans l'écubier. Une, deux, trois, quatre secondes s'écoulent et le calme revient alors que je retourne mon appareil photo vers le pont. La fureur de la manœuvre a cessé mais un nuage de poussière jaune enrobe encore tout l'avant. Le sol est jonché de particules et d'éclats métalliques atteignant parfois plusieurs centimètres de longueur et deux millimètres d'épaisseur projetés à plusieurs mètres. Je n'en reviens pas et ma mine hilare amuse les marins. Je comprends la réticence de l'officier à ma venue et les protections du personnel affecté aux opérations !
  Pendant que le Musca recule sagement pour étaler les 7x27 m de chaîne mouillée par 20 m de fond, les marins balayent le pont, mettent en sécurité les appareils et moi je regarde, encore tout étourdi par ces impressions formidables. Quel bateau !






















mercredi 1 juin 2016


jour 23


samedi 19 mars 2016

  Nous progressons toujours dans le golfe d'Oman, cap au nord sous un ciel très voilé donnant une mer grise. Devant nous, derrière l'horizon, il y a l'Iran et probablement de la pluie. Le vent se maintient à la vitesse du bateau, soit 13 nœuds et il ne fait que 27°C à 10 h. Cela fait trois semaines maintenant que je n'ai pas subi de pluie et une semaine déjà que la température dépasse 25. La France et son hiver sont loin dans mes pensées mais tout ayant une fin, le retour par Paris au petit matin sera sans doute difficile.
  A 15 h le ciel se dégage sous l'effet du vent qui a tourné au nord et s'est renforcé. C'est à ce moment qu'apparaissent les baleines, des mégaptères, là, sur bâbord, à quelques centaines de mètres. Quelques unes, bien groupées, se déplaçant paisiblement en direction comme nous du golfe Persique. C'est émouvant de penser aux voyages au long cours qu'elles entreprennent. Elles sont accompagnées par un groupe de dauphins. Beaucoup plus loin, d'autres baleines font des sauts hors de l'eau projetant des éclaboussures partout. J'aimerais tant être plus près mais nous les laissons derrière nous, imperturbables, guidées par on ne sait quelle boussole.
  Le ciel est redevenu gris vers 16 h alors que la température est montée à 31°C. Dans la passerelle, la carte du coin indique que nous venons de quitter la zone à haut risque. Maintenant, ce n'est que la zone "à risque". C'est fou comme un trait de plume sur du papier et une subtilité de langage peuvent faire du bien parfois, au mépris de toute logique ! Je sens que la surveillance des bateaux de pêche du coin va se relâcher...
  Face à la proue, le détroit d'Ormuz s'annonce.









mardi 31 mai 2016

 jour 22


vendredi 18 mars 2016

  Le beau temps poursuit son offensive sur la mer d'Arabie : ciel dégagé, mer très calme et vent arrière égal à notre vitesse ce qui se traduit par une absence totale de vent relatif. Il n'y a pas grand chose à voir dehors, pas même un oiseau car nous sommes trop loin de la côte, ce qui n'est pas pour me déplaire d'ailleurs. En revanche, à l'intérieur, au fin fond des entrailles, il y aura de quoi regarder car ce matin je visite la salle des machines. Cette appellation...bateau recouvre en fait un ensemble de salles occupant tout le volume arrière de la coque sur plus de 60 m de longueur. Enfilons donc des chaussures de sécurité, mettons un casque anti-bruit et c'est parti pour une visite hors-norme en compagnie du capitaine en second. Vous allez bien m'accompagner même si je vous abreuve de chiffres au passage ? Bien.
  L'entrée se fait depuis le chateau au niveau du pont principal. La première salle est celle de contrôle, lieu de commande et de surveillance de toutes les machineries du navire. C'est impressionnant. Ici, on assume la taille du bateau, on fait dans la démesure ! Puis on descend dans les pièces techniques : ateliers, salle des pompes et local du bouilleur. Vu la taille de l'équipement, on suppose vite que ça ne sert pas seulement à disposer d'une douche chaude. En fait il assure le réchauffage du fioul lourd pour le liquéfier avant qu'il ne soit introduit dans les moteurs.
  Une autre salle suit avec deux énormes moteurs diésel bleus de 3 MW (4 000CV) à 700 tr/mn. Ils tournent par paire en alternance avec les deux autres situés dans une seconde salle sur l'autre côté du Musca. Ce sont ces moteurs qui fournissent toute l'énergie hydraulique et électrique - sous 6 600 V - nécessaire. Ils ne s'arrêtent donc jamais et ce sont eux qui sont responsables du bruit permanent dont je ne comprenais pas l'origine. Ici, les bouchons d'oreille ou le casque anti-bruit sont indispensables. Hein ? comment ? vous dites ? En traversant la salle, nous atteignons une porte qui s'ouvre sur...
  ...une cathédrale ! dans laquelle j'entre en surplomb. Époustouflante impression de gigantisme. Plus de 20 m de haut, 40 m de large et une longueur qui va se perdre à la poupe. Des bas-côtés nervurés par les membrures de la coque, des nappes de tuyauteries jouant les croisées d'ogive et dans la nef, du premier à l'arrière-plan, sa majesté LE moteur ! J'aurais bien vu là une turbine entraînant des arbres d'hélice ou encore un très gros diésel-électrique, de ceux avec des cylindres partout... Mais non. Un bête moteur diésel 2 temps de 12 cylindres en ligne, mais quelle ligne ! 24 m de long ! Et tout est à l'avenant. Le poids ? 3 000 T. Les pistons ? 1 m de diamètre. Les bielles ? environ 4 m de long. La puissance ? 100 000 CV. La vitesse de rotation ? Euh... là, lente, très lente, de 50 à 100 tr/mn. L'échappement ? une cheminée de 5 m de diamètre. La maintenance ? un piston, une chemise de cylindre et une bielle sont approvisionnés, prêts à un remplacement en mer. La surveillance ? la salle de contrôle durant la marche, l'entrée dans le moteur arrêté, debout, par des portes de visite au pied de chaque cylindre. Ce moteur est l'un des représentants des plus gros moteurs du monde. C'est tellement gigantesque tout ça que je ne peux m'empêcher d'en rire et je lis sur le visage du second la fierté de diriger une telle machinerie. Je descends alors d'interminables volées d'escalier pour arriver tout au fond et rejoindre l'arbre d'hélice tournant à 50 tr/mn. Il mesure 80 cm de diamètre et va rejoindre une seule hélice à six pales de 9 m de diamètre.
  J'y resterais des heures mais nous reprenons de la hauteur pour rejoindre une des deux coursives qui mènent à l'avant. Un panneau avertit de tenir fermement le cadre de la porte en passant dans la coursive pour éviter les chutes. Sage précaution car je quitte les 40°C de la cathédrale et sa surpression d'air pour passer à une température et une pression normales. Ça souffle vraiment très fort au passage de la porte ! Suit un long cheminement jusqu'à l'avant, entre coque extérieure et paroi interne le long de la cale emplie de conteneurs, les ballasts sous les pieds et des tuyauteries sur la tête, des canalisations, des câbles et des transfos 6 600/440 V tout du long, pour déboucher finalement à la pointe avant dans une salle à l'échelle du reste. Deux énormes cylindres joignent le sol au plafond. Ce sont les puits de chaîne où sont lovés 300 m de bonne ferraille reliée aux ancres. Nous faisons ensuite demi-tour et ressortons par la salle de commande en croisant quelques techniciens. Le second me précise que 9 personnes sont affectées ici soit 1/3 de l'équipage au complet. Travail intéressant sans doute mais exercé dans des conditions difficiles de chaleur et de bruit, sans jamais voir le jour et 24 h / 24 h. Pour ces marins, l'embarquement n'est pas vraiment synonyme de vie au grand air.
  Dans l'après-midi, le Musca remonte le golfe d'Oman en direction du golfe Persique. Il fait 31°C et le ciel commence à se voiler. A la passerelle, les marins m'informent que nous approchons d'une zone à baleines. J'espère bien en voir car j'ai raté les dauphins qui ont joué à l'étrave pendant un moment durant la traversée du canal de Suez.
















lundi 30 mai 2016

jours 20 et 21


mercredi 16 et jeudi 17 mars 2016

  Ces deux journées se déroulent dans de très bonnes conditions de navigation. Sous un ciel débarrassé de la brume et par une température jamais inférieure à 30°C, le porte-conteneurs taille sa route le long du 12ème  parallèle nord dans une mer calme sans houle ni vague. Stabilité absolue du Musca qui, plus que jamais, évoque une île émergeant d'un lac.
  Mercredi, je n'ai vu qu'un seul cargo. Cet isolement m'inquiète un peu et je m'imagine vivre les abordages d'antan avec des pirates prêts à tout. C'était terrible même si les mœurs de l'époque préparaient les gens à ces atrocités. En me projetant dans cet imaginaire, je perçois à nouveau le décalage abyssal entre les scènes d'action d'un film sensées nous placer au cœur de l'action, et ne serait-ce que la mise en situation réelle avec une perspective latente d'attaque extrêmement ténue. Les films, y compris de voyage, ne sont que de très pales succédanés de la réalité ; il leur manque tant de choses concrètes...
  Jeudi, alors que nous venions juste de passer un imposant bateau militaire arrêté et surveillant la zone, nous voyons sur le radar un petit bateau se déplaçant à 25 kn et dont la route coupe la nôtre. Il s'arrête 2 miles avant ce croisement alors que deux petits cargos arrivent en face. Tous ces navires seront rassemblés d'ici quelques dizaines de minutes. A bord, les jumelles sont braquées sur eux, sans oublier de surveiller l'arrière de temps en temps. Au bout de 2 à 3 minutes la petite embarcation repart à la même grande vitesse vers la côte yéménite et disparait. Soulagement. Ces petits bateaux rapides servent à la pêche mais peuvent aussi cacher une dizaine d'assaillants sous des bâches, les rendant indétectables aux jumelles. Alors ? Pêcheurs pressés ou pirates ayant vu derrière nous la présence militaire ? La question demeurera sans réponse mais elle traduit bien la crainte permanente d'une mauvais rencontre. On devient vite paranoïaque dans ces coins-là...
  A 13 h, la pendule a encore progressé d'une heure et en soirée nous passons devant Salalah, principal port d'Oman.





dimanche 29 mai 2016

jour 19


mardi 15 mars 2016

  La journée d'hier a été marquée surtout par l'élévation de température extérieure avec 31 à l'ombre dans l'après-midi. La visibilité est restée réduite en raison de l'intense évaporation et les écrans filtrants de la passerelle sont restés baissés. Vers 10 h, nous avons franchi la frontière entre l'Arabie Saoudite et le Yémen, pays toujours en guerre avec son voisin et placé sous un embargo dévastateur pour la population.
  Aujourd'hui, ce sera le passage du détroit de Bab el Mandeb (la porte des lamentations). Dès le début de matinée, des îlots rocheux apparaissent de part et d'autre du navire, de plus en plus nombreux et de plus en plus proches. Le goulet, car c'en est un, n'est plus très loin. En arrivant à la passerelle, j'ai une surprise. Là, sur ma gauche, soigneusement alignés et tout neuf - ce qui me rassure un peu - il y a quatre gilets pare-balles et quatre casques. Devant moi, un marin est absorbé dans la surveillance des abords aux jumelles. Pour dédramatiser la situation, les marins présents me font essayer l'équipement. C'est diablement lourd ! mais si c'est utile... Il est donc clair que le Musca vient d'entrer dans la zone de piraterie. Par 30°C, la visibilité n'atteint plus qu'une dizaine de kilomètres et est accompagnée d'un vent de face monté à 35 kn en raison de l'étranglement du détroit. Ceci et la taille de notre navire devrait nous mettre à l'abri d'une attaque provenant d'un petit bateau. Comme nous arrivons à l'entrée de la passe canalisée, nous croisons un navire militaire arborant à l'avant un gros canon monté sur tourelle.
  Puis le passage se réduit à une vingtaine de kilomètres avec des hauts-fonds et des îlots tout autour. Le plancher maritime remonte très vite vers 200 m en moyenne et la navigation devient plus pointue, partagée entre deux sens opposés circulant à droite avec un fort courant de surface en direction de l'océan indien. Chaque corridor mesure moins de 3 km de large et je ne vois pas de balise. Pour passer, la navigation s'organise en convoi libre et la présentation cartographique des images radar s'avère un auxiliaire précieux. Ce n'est pas là qu'il faudrait tomber en avarie de moteur ou de gouvernail ! A 13 h 30, la zone la plus étroite est franchie et nous débouchons dans le golfe d'Aden. Djibouti se trouve sur tribord à environ 100 km alors que la ville d'Aden est à 200 km sur bâbord. Devant nous et à très basse altitude, deux hélicoptères militaires (américains ? français ?) survolent les cargos avant de poursuivre leur mission, sans doute de surveillance. En effet, entre autres pour endiguer avec un certain succès les actes de piraterie dans cette zone importante sur le plan commercial et combien instable, les États-Unis et la France, mais aussi l'Allemagne, le Japon et la Chine entretiennent des bases militaires à Djibouti.
  Sur la table à carte est déployée celle qui couvre le golfe d'Aden et la mer arabique. Au nord, le Yémen et Oman, au sud la Somalie. Un grand rectangle de couleur recouvre toute la zone avec en surimpression la mention "zone à haut risque", au cas où en douterait... A mi-distance des deux côtes figure un grand corridor dit "sécurisé" qu'il est conseillé d'emprunter pour se rendre en Asie. La sécurité y est toutefois relative comme l'ont démontré des attaques récentes mais la présence de bateaux militaires et la navigation en convoi jouent tout de même un rôle dissuasif.
  Dans le cartouche de la carte, des recommandations générales mais détaillées sont données quant au comportement à adopter en cas de tentative d'abordage puis de prise de contrôle du navire. Certaines me laissent songeur comme la préconisation d'arroser à la lance à incendie le canot des assaillants. Le rédacteur de la consigne voit-il encore les pirates avec un couteau entre les dents ? Pour ma part, j'ai bien peur que l'arroseur se retrouve à son tour arrosé... à la mitraillette !
  A 14 h 30, le second vient m'avertir qu'il y aura un exercice incendie dans une heure. Rien de tel que d'occuper les hommes pour éviter de "gamberger". A 15 h 30 donc, tout le monde est rassemblé sur le pont principal ( upper deck ). Début de l'exercice, mise en action des lances incendie aux jets puissants, équipement d'un marin avec la tenue spéciale pour haute température (ça me parait très long cet habillage) puis fin de l'exercice. Son analyse est ensuite effectuée par le capitaine dans la salle de réunion et elle est suivie d'un ensemble de questions posées aux membres de l'équipage pour réviser les connaissances. L'ambiance est sérieuse mais détendue.
  Après dîner, j'assiste à un splendide mais bref coucher de soleil puis je jette un coup d’œil sur la carte ce qui me fait comprendre que nous ne nous engageons pas dans le corridor sécurisé mais que nous allons longer la côte du Yémen en prenant la route la plus courte vers Dubaï. Ça ne me rassure pas du tout ça.