mercredi 13 avril 2016



 

 jour 1

préambule



  Eh bien ça y est ! Après avoir longtemps eut envie de faire un voyage en cargo, je me suis enfin décidé. Sur des conseils avisés, c'est en porte-conteneurs que le voyage se fera. Il sera long : trois semaines, mais c'est à cette condition que l'on s'approche le plus de la vie en mer ; pas celle de marin car je ne ferai rien et les conditions de confort sont bien différentes de celles des marins à bord. Autre souhait qui a présidé à cet itinéraire : un parcours devant englober un lieu d'exception. Ce sera le cas avec le canal de Suez. Maintenant que le voyage est achevé depuis trois semaines, je vis encore parfois dans cette parenthèse du temps où les infinies variations de l'eau et du ciel viennent meubler les journées passées en mer ou dans les ports. Durant trois semaines, j'aurai fait partie de ces 3 000 passagers qui choisissent chaque année de naviguer sur des cargos, parfois seuls, sur les 30 millions de voyageurs qui préfèrent les bateaux de croisière.
C'est le récit de cette expérience que je relate ici.

  vendredi 26 février 2016



  J'ai passé la journée d'hier dans le train pour rejoindre Fos/mer depuis Chambéry. Il n'y a pas de gare à Fos, un simple arrêt, sans taxi bien sûr. Soirée sans intérêt à l'hôtel et aujourd'hui, j'y traîne jusqu'à midi avant de rejoindre le vieux village pour déjeuner. Minuscule et situé au pied des ruines du château, il n'est pas agréable avec de rares commerces. J'emprunte alors la rue principale jusqu'à la mer et ne trouve tout au long, en dehors des habitations et de quelques bâtiments publics que des restaurations rapides pour ouvriers, bondés et bruyants. Je retourne sur mes pas à la limite du vieux village dans le seul restaurant existant. Autour et sur 200 m de rue se trouvent des agences de toutes les banques classiques ( au moins une dizaine) et rien d'autre. Le reste de la ville est constitué de quartiers d'immeubles bas reliés par des routes en tous sens et il n'y a quasiment aucune plaque de rue. Pour m'orienter - je suis un des rares piétons - j'en suis réduit à tenter de recoller le plan approximatif que j'ai avec la forme des carrefours que je vois. J'imagine qu'ici on ne se déplace qu'en voiture munie d'un GPS si on n'est pas natif du lieu. Pour avoir marché durant des kilomètres, j'aurais aperçu un supermarché, des boulangeries et presque rien d'autre. Vous avez dit Ville et Urbanisme ? Après déjeuner je fais le tour de l'étang de l'Estomac qui borde la ville à l'est. On oublie le bruit des voitures et on chemine en grande partie dans la garrigue qui couvre la colline. C'est agréable malgré le temps frais.
  A 17 h, le taxi me prend et m'emmène au terminal à conteneurs de Port-Saint-Louis.

  Le MUSCA est là ; gigantesque, impressionnant par sa hauteur de coque (à peu près un immeuble de 6 étages) et par sa longueur sans fin masquée par 4 immenses portiques de chargement/déchargement (il y a des ascenseurs pour amener les grutiers à poste à plus de 55 m - environ le 20éme étage). L'armateur est la société française  CMA-CGM mais le navire est immatriculé à Londres donc sous pavillon anglais. Sur le quai, une noria de cavaliers lève-conteneurs alimente les grues. Ça bipe, ça klaxonne, ça cogne, ça se heurte et je ne suis pas vraiment à ma place au milieu de tout ce cirque avec ma valise. Ça donne aussi une impression d'effervescence que je ne retrouverai plus par la suite quand je serai habitué et que je contemplerai cette activité depuis le haut de la passerelle.
  Donc, je prends 2 ou 3 photos puis direction l'échelle de coupée au pied de laquelle un asiatique empoigne ma valise et monte avec moi. La montée est sans fin : 72 marches d'environ 23 cm (c'est haut) très bombées pour s'adapter aux hauteurs variables des quais, en une seule volée, bordée de deux mains-courantes doublées de filet où tout s'accroche.
  Arrivé sur le pont principal, je suis accueilli par un philippin dont je ne comprends pas un mot d'anglais. Il faut préciser que je ne suis pas très doué, cependant les échanges risquent d'être difficiles ! Ce marin est là pour consigner sur un registre toutes les montées et descentes du bateau lors des escales. Puis on m'emmène jusqu'au pont F par des coursives et un ascenseur dignent d'un navire de croisière. On ouvre une porte et on me demande d'entrer dans une grande pièce avec salon d'angle, fauteuils, épaisse moquette bleu nuit, bacs à fleurs, cloison en claustra, parois simili bois clair, etc... Comme je demande où je suis, on me répond qu'il s'agit de ma cabine ; moi qui croyais être dans une sorte de salon pour les officiers ! Elle est splendide, bien au-delà de mon attente : près de 50 m2, meubles en stratifié clair, grand bureau, frigo rempli, double-rideaux, 4 grands hublots rectangulaires et non de petits hublots ronds... bref, j'occupe la cabine dite de l'armateur. Ambiance bateau assurée, très cosy, bien supérieure à mes embarquements passés sur des ferrys et où je sens que j'aurai plaisir à lire, à écrire et à rêver.

  Je suis ensuite présenté à un officier en second qui me parle plus lentement et je comprends (presque) tout. En particulier, pendant les opérations commerciales (chargement/déchargement) je ne pourrai pas sortir. Moi qui voulait filmer ! Puis il
me présente au capitaine dont l'anglais me parait teinté d'accent russe. De fait, il est étranger et il n'y a guère que sur les bateaux battant pavillon français que l'équipage est français. Ici, les officiers semblent venir de l'Europe de l'est et les marins des Philippines. Rien que du classique en somme.

  Mais il est déjà 18 h et le dîner est servi. Le rythme habituel des repas sur un cargo est le suivant : 7 h breakfast, 12 h déjeuner, 18 h dîner. Je mangerai au mess des officiers mais à une table à part et je serai l'unique passager.
  Retour dans ma cabine, installation puis j'ouvre un des deux hublots donnant sur l'arrière pour observer les manutentions. Le portique déplace justement les conteneurs situés devant ma cabine. Dans la nuit noire avec la raffinerie de Fos illuminée en arrière-plan, c'est un spectacle total qui se déroule avec mouvements, bruits et lumières. C'est grisant et féérique et vivre ce moment constitue déjà une récompense. J'ai vu bien sûr ce genre de chose à la télé mais là c'est en vrai ! Autrement dit, il y a le son au vrai niveau, les déplacements dans toute leur ampleur, les odeurs, le relief et je suis au milieu.
  A l'intérieur de la cabine, le bruit est assez élevé, partagé entre les bourdonnements des gros diésels fournissant l'énergie à quai et le souffle fort de la climatisation. Pour dormir, je n'aurai qu'une seule solution, les boules Quiès.













 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire