samedi 21 mai 2016


jour 10


dimanche 6 mars 2016

  L'arrivée à Damiette est prévue ce matin. Il fait beau. A 30 km des côtes, le fond n'est plus qu'à 50 m, évoluant en une pente très douce qui se poursuivra à terre.  A 10 h, le bateau s'inscrit dans un couloir maritime qui le conduira au début du chenal d'accès. Devant nous, dans le contre-jour illuminant la surface, des traits sombres en quantité ponctuent l'horizon, cargos à l'ancre et pêcheurs en activité par dizaines que le radar dévoile. Le pilote automatique maintient le MUSCA au 1/10 de degré près sur sa route jusqu'à l'entrée du chenal où le barreur reprend son poste, dirigeant manuellement le porte-conteneurs selon les ordres du capitaine. L'ambiance à la passerelle m'évoque le film de Schoendoerffer, le Crabe Tambour avec Jean Rochefort.
  Encadré de balises, le chenal d'accès, d'une largeur égale à notre longueur, est dragué jusqu'au port à une profondeur excédant notre tirant d'eau de 4 petits mètres. Il vaut mieux conserver l'axe et savoir composer avec le vent latéral ! Au poste de barre, les yeux parcourent sans cesse l'indicateur de cap, celui d'angle de barre, le sondeur et l'extérieur où les bateaux de pêche semblent ignorer notre présence. Alors, de temps en temps, un son grave de sirène rappelle à l'ordre les distraits et les audacieux.
  Maintenant, le terminal souligne sa présence par ses grues qui émergent de la légère brume. De part et d'autre, la platitude du fond de mer se poursuit ausi loin que le regard porte alors que derrière le port, une palmeraie le sépare d'une conurbation très étendue englobant plusieurs villes. Juste à l'entrée des bassins, le cargo Virgo coule des jours heureux en attendant une décision quant à son sort, témoin involontaire des difficultés d'accès ou d'ancrage.
  L'arrivée dans le bassin de destination est toujours l'occasion d'étonnement. Il faut s'imaginer un espace d'environ 1 000 m de large avec des cargos à quai de chaque côté et un vraquier à l'ancre en plein milieu. Le long du quai à tribord, un "trou" de 400 m (distance mesurée sur l'écran de cartographie, très précis). C'est là que quelqu'un s'est imaginé que nous pouvions "garer" nos 350 m ! J'attends avec curiosité le moment du "créneau", forcément d'anthologie... Et bien non, les deux petits remorqueurs qui nous déplacent entreprennent de nous faire accomplir un demi-tour dans les 500 m libres en largeur avant de nous pousser dans l'encoche réservée. Plus simple à dire qu'à faire en raison de l'inertie énorme du porte-conteneurs et de l'action du vent. Sous les poussées conjointes des deux remorqueurs assistés du propulseur d'étrave du cargo, il a fallu plusieurs minutes d'effort avant que j'aperçoive depuis la passerelle un déplacement de l'étrave. Bien entendu, il en va de même pour arrêter un mouvement lancé. Il faut donc sérieusement anticiper et c'est avec respect qu'on voit la manœuvre de "parking" exécutée mieux qu'en bateau-école. Toutes ces opérations précises et impressionnantes requièrent une parfaite coordination entre la passerelle, le pilote à bord et les remorqueurs ainsi que du temps, beaucoup de temps, près d'une demie-heure entre l'entrée dans le bassin et la fin de l'amarrage Il est 13 h 30 et les opérations commerciales peuvent commencer. Autour de nous, une quinzaine de cargos,  en majorité des vraquiers, semblent en léthargie, l'activité portuaire étant quasi nulle.
  La nuit a emporté la ville, disparue faute d'éclairage. En revanche, la raffinerie brille de mille feux comme toute raffinerie. Le port, lui, se situe à mi-chemin avec un éclairage qui peut passer pour insuffisant. De même, les projecteurs des portiques sont anémiques et le travail des grutiers œuvrant dans les cabines aux vitres sales relève de la performance pour aller arracher des conteneurs à fond de cale, à 30 m sous le pont. En observant l'activité humaine, avec le désordre sur les quais, l'indolence des piétons, l'anarchie des déplacements des véhicules, l'absence de port du casque pour les dockers les plus exposés, je souris en pensant que je suis bien de retour en terre africaine où ce qui nous parait important l'est moins et où le fatalisme fait partie de l'art de vivre.













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